Nicolas Gutiérrez Muñoz

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La rédaction culturelle : qu’est-ce que c’est ?

Plasticien dont l’œuvre réconcilie sculpture, peinture et installation, Nicolas Gutiérrez Muñoz poursuit depuis une dizaine d’années un travail sur la trace, entendue dans le sens d’artefact témoignant de la présence humaine – tels les vestiges de nos civilisations ; autant que dans celui d’empreinte, salissure ou signature, résidu de nos présences et de nos responsabilités individuelles. Passionné par la matière, il en explore les discontinuités : son opacité et sa transparence, sa lourdeur et sa légèreté, sa disgrâce et sa beauté.

DEBER DE MEMORIA

En 2018, Nicolas Gutiérrez Muñoz est invité à exposer au Parque Cultural de Valparaiso, au Chili. Ce prestigieux musée d’art contemporain situé dans la ville natale du père de l’artiste lui offre alors un écrin d’exception pour une exposition essentielle que Nicolas Gutiérrez titrera Deber de memoria : Devoir de mémoire. Portes bétonnées, fragments du drapeau chilien figées dans le ciment, empreintes de lunettes ou pièces massives en béton et plâtre qui, non-fixé, s’efface avec le temps : autour de la  dizaine d’œuvres créées pour l’occasion, Nicolas Gutiérrez Muñoz conceptualise les thématiques lourdes de sens liées au coup d’Etat de 1973, à l’assassinat de Salvador Allende, aux disparitions de masse et à l’exil qui en seront les conséquences délétères.

Parque cultural de Valparaiso

11 YEARS OF RESIDENCIES


En 2015, Nicolas Gutiérrez Muñoz est lauréat de la Fondation privée Carrefour des Arts qui lui offre une résidence de dix mois, une bourse, un accompagnement et l’acquisition de l’une de ses œuvres.

A l’époque, Nicolas Gutiérrez Muñoz explore les limites et les possibilités de l’utilisation artistique de matériaux bruts, dans une démarche qui questionne l’influence du matérialisme et de la consommation de masse sur nos perceptions de l’art et de la vie en général.

Sept ans plus tard, en 2022 la Fondation réunira les artistes accueillis au cours des onze dernières années pour une rétrospective nommée 11 YEARS OF RESIDENCIES.

Pour cette exposition, Nicolas Gutiérrez Muñoz poursuit sa recherche en incluant dans ses installations des objets usuels abîmés par le temps, oxydés, des vestiges de notre époque jetés au rebut.

Ce faisant, l’artiste témoigne d’une double sensibilité, en apparence antinomique : d’une part son geste est celui de l’archéologue qui lit dans le fragment retrouvé l’indice d’un mode de vie, le nôtre en l’occurrence, avec son poids de surconsommation, de dilapidation des ressources et de pollution ; d’autre part, il est aussi l’œil qui voit la beauté de l’objet formel révélé, ses formes et ses couleurs, sa singularité déshabillée de l’utilitarisme.

VESTIGES

Fin 2022, Nicolas Gutiérrez Muñoz découvre la Chapelle du Grand Hospice.  Lieu d’histoire, chapelle désacralisée abandonnée à l’architecture fascinante, cet espace fait écho aux questionnements de l’artiste et lui offre un terrain d’expérimentation et de réflexion d’une grande richesse.

Pour l’exposition Vestiges accueillie au Grand Hospice,Nicolas Gutiérrez Muñoz va créer une série d’œuvres qui explorent les tensions symboliques entre sacré et profane, solide et fragile, ouverture et cloisonnement.

Intégrant le pigment, la flèche, le plasticien donne une dimension sémiotique nouvelle, une référence au graffiti, geste-cri qui enjoint à « aller vers ». Vers un lendemain peut-être plus humble comme l’est, dans tout le travail de Nicolas Gutiérrez Muñoz, cette  matière brute soudain anoblie, cette matière figée qui dit le mouvement.

Laurence Baud’huin

Nicolas Gutiérrez Muñoz

Rhizome

Pascal Demeester
Anne Goldschmidt
Marion Séhier

@Melissa Ansel

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Autour de leurs trois mondes
les invités ont assis leurs yeux
tournés au vert.
 
Leurs réseaux de neurones ont pétillé.
Ils ont ri du riz, sans eau-sans os.
Ri d’eux-mêmes aussi.

Les invités ont laissé leurs réseaux de neurones
grouiller un peu,
cheminer,
s’enfoncer sous terre,
sérieux comme des vers
têtus face au chaos.

Les invités ont dit :
Rhizome !

Ça tombait bien.
Le philosophe en avait souligné
l’horizontalité, la résistance
la générosité,
l’anarchisme et le polymorphisme.

Alors l’ubiquité
toute nue sous sa souche
s’est mise à bourgeonner.

Laurence Baud’huin
Décembre 2022

Vernissage 13/01/2023 – 17:00 > 21:00

Exposition 14/01>12/02/2023

Concert D 15/01 –  17:00
jazz session #melissaansel

Tribute To Thelonious Monk
Bruno Corbisier – bass
Bart Defoort – tenor sax
Piergiorgio Pirro – piano
Gabriel Souto – drums

Rhizome

One step back, two steps forwards

Jana Phlips – Emma Shoring – Tim Trenson

@Melissa Ansel

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En opérant la rencontre entre Jana Phlips, Emma Shoring et Tim Trenson, la galerie Melissa Ansel invite ces trois artistes pour une danse. Les pas sont connus. Le rythme est donné. La chorégraphie, pourtant, leur appartient : chacun glisse sur la piste avec son univers pictural propre, ses références et l’émotion ressentie.

Un pas en arrière, deux pas en avant. Jana Phlips prend l’élan créatif dans le recul, dans l’humilité : celle qui la mène à dévoiler entièrement son processus, ses étapes de recherche, mais aussi celle des matériaux : carton, plâtre et béton, d’ordinaire relégués aux esquisses ou aux moules, sont ici sublimés, exposés pour eux-mêmes. Comme la vie, l’œuvre est fragile, salissante, interpellante.

Un pas en arrière, deux pas en avant. Emma Shoring travaille par couches au sens propre comme au figuré. Si la féminité telle qu’elle est traditionnellement représentée est son point de départ – le step back est alors un pas dans l’historicité, son œuvre ne prend forme que parce qu’elle entre en résonnance avec les rencontres, les considérations, les réflexions préalables ou simultanées. Des pas de côté qui permettent ce balancement sensuel, le chaloupé, l’organicité de la peinture.

Un pas en arrière, deux pas en avant. Peut-être Tim Trenson a-t-il trouvé ce titre parce que comme son travail, il est empreint d’un certain pragmatisme teinté d’humour, d’une efficacité qui explose, de l’idée d’effacement, de repentir.  « Je dois tuer mes bébés pour faire naître la composition », dira-t-il. Ainsi, les peintures de Tim Trenson montrent l’absence autant que la présence et dévoilent un processus de création spiralaire perceptible, un tâtonnement assumé.

Laurence Baud’huin

One step back, two steps forwards

Robin Wen – Free party

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VERNISSAGE VENDREDI 30/09/22 DE 17:00 À 21:00
Expo Robin Wen “Free Party”
Centre Tour à Plomb, Bruxelles

Infusant l’univers des Free parties, le plasticien Robin Wen met son exceptionnelle maîtrise technique au service d’une idée de la liberté. Celle-ci, sauvage, secrète, grandiose et humble a sans doute façonné l’artiste autant qu’il n’a lui-même contribué à la développer, tandis que, jeune adulte, il montait des sounds systems dans les déserts verts des Hautes-Alpes.

Cachées, isolées au milieu de rien tant pour ne pas déranger que pour ne pas l’être en retour, les Free sont néanmoins traquées par l’ordre et ses forces. Matériel détruit,  danseurs arrêtés, les préjugés qui entourent le mouvement semblent suffisants pour justifier une agressivité sans commune mesure avec les délits commis. A tel point qu’il est difficile de ne pas envisager qu’au-delà d’une quelconque nuisance – c’est bien la liberté en elle-même qui terrorise.

Né à Taïwan, île indépendante mais néanmoins revendiquée par la République Populaire de Chine comme l’une se des provinces, Robin Wen est particulièrement sensible à cette notion de liberté. Au fil d’un protocole organique, véritable écosystème créatif, ce plasticien diplômé de La Cambre part d’abord en quête d’images photographiques issues de ces nuits au creux desquelles résonnent les caissons de basses. De ces photos, il tire d’étonnants dessins préparatoires réalisés à l’usure de stylos à bille bon marché dont le crissement – à l’instar de l’électro-tribe emblématique du mouvement, le mettent dans un état méditatif propice à la création. Ces esquisses peuvent alors devenir sujets de grandes peintures à l’huile ou à l’acrylique, charpentées en triptyques mais fonctionnant isolées, tant cadre et hors cadre sont, dans les créations de Robin Wen, chargés de narration. In fine, certains de ces tableaux prennent corps et deviennent sculptures, objets parfois sonores, toujours métaphoriques.

Par ailleurs, les œuvres de Robin Wen témoignent par l’absence : les danseurs ont disparu, restent des bâches, des tentes ; les murs de caissons se sont changés en empilements de ballots de paille ; les chiens errent sans maîtres. Dans les dessins, d’un incroyable réalisme, les sujets sont de dos, anonymes : pour vivre heureux, vivons cachés ! Reste une étrangeté, une sensation de déjà-vu teintée de nostalgie, une vibration hallucinatoire qui n’est pas sans rappeler certaines œuvres surréalistes.

Ainsi,  toute l’œuvre de Robin Wen oscille entre légèreté apparente et tension. Ses successions d’incarnations : dessins, peintures, sculptures, ainsi que ses nombreuses références à l’Histoire de l’Art, sont  – dans leur processus même – un hommage rendu, une marque de respect témoignée à cet univers incompris et traqué, à cette liberté chèrement payée par celles et ceux qui, loin de tout, n’agressent pas plus d’oreilles que l’arbre qui s’abat seul dans la forêt, là où personne ne peut l’entendre…

Laurence Baud’huin, septembre 2022

Robin Wen – Free party

Jean-Claude De Bemels, l’intime en partage

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Jean-Claude De Bemels, Anthropocène 02, 2021

Le travail pictural de Jean-Claude De Bemels a la particularité technique d’être essentiellement digital depuis les années quatre-vingt, ce qui fait de cet artiste pluridisciplinaire et scénographe de renom, l’un des annonciateurs du genre. Pourtant, ce qui caractérise son œuvre dépasse, et de loin, la prouesse technologique, pour atteindre à la représentation essentielle de  l’intime comme réunion de l’intuition et des émotions jaillissant de l’inconscient.

Passionné de psychanalyse dès les années soixante, et par ailleurs peintre autodidacte dès l’enfance, Jean-Claude De Bemels va, dès ses tout premiers tableaux – alors réalisés à l’huile, à l’acrylique ou à la gouache mais aussi à l’aide de collages et d’adjonction de matières brutes, proposer une recherche picturale à la lisière de l’abstraction. Celle-ci témoigne de son monde intérieur et des émotions qui l’habitent. Ainsi, que l’on regarde ses œuvres de jeunesse ou les dernières, essentiellement virtuelles, toutes ouvrent une brèche sur l’univers psychique du peintre.

Scénographe de grand talent, Jean-Claude De Bemels connait l’importance de l’éclairage qui donne la profondeur, qui cache et révèle, métamorphose formes et couleurs. Fort de ce savoir-faire, de cette fascination pour la lumière, il va pressentir dès 1984 l’immense potentiel graphique de l’outil informatique, qui n’en est pourtant qu’à ses débuts. Rétroéclairé, l’écran de l’ordinateur est une boite de lumière sublimant chaque pixel. De plus, là où le peintre traditionnel regarde sa main tenant le pinceau, le peintre virtuel plonge le regard directement dans sa peinture, laquelle s’anime dans une temporalité quasi simultanée à celle de l’esprit. L’écran devient de facto une projection en temps réel de l’intériorité de l’artiste ou, comme l’écrira Véra Molnar, véritable précurseuse de l’art numérique, une formidable machine-à-mieux-voir-en-soi-même[1].

Ainsi, si les collages, déchirures et ajouts repeints des premières peintures « matérielles » sont aujourd’hui copies, associations, détériorations, distorsions d’images virtuelles, le processus n’a changé qu’en ce qu’il est magnifié par la lumière et l’immédiateté du rapport entre pensée et geste. Jean-Claude De Bemels, toujours, traduit en images son intériorité, une intimité partagée. Travaillant parfois des dizaines de tableaux en parallèle, le plasticien y revient sans cesse, au cours d’un processus long qui ne s’arrête que lorsque, d’instinct, il sent émaner de l’œuvre la justesse, l’adéquation avec l’émotion recherchée.

Tirées en très haute définition, les peintures virtuelles de Jean-Claude De Bemels sont imprimées dans des formats allant jusqu’à 3m², avec des encres pigmentaires UltraChrome Pro, sur papier 100% coton, avant d’être contrecollées sur aluminium. Elles sont de surcroit certifiées Digigraphie, label donnant une reconnaissance internationale en matière d’impression, et qui permet aux artistes de produire des séries limitées, numérotées, signées et estampillées de leurs œuvres originales en très haute qualité, avec une durée de vie de plusieurs générations.

Paysages organiques ou cosmiques, minéraux ou végétaux, tissages de lumières, cathédrales et grottes oniriques, camaïeux de couleurs chaudes ou harmonies de froids, les tableaux de Jean-Claude De Bemels ne sont pas titrés mais réunis en séries qui proposent une manière d’indice quant à l’émotion poursuivie. Ainsi la série Résurgence, qui fait appel aux souvenirs de l’artiste, Emergence, qui nous parle de berceau, de creuset, de la source dont tout jaillit, ou plus récemment la série Déglaciation  où s’opère dans une très grande cohérence esthétique la fusion du minéral avec l’aquatique, la glace, le végétal,  écho sensible aux résonnantes inquiétudes du monde d’aujourd’hui.

Laurence Baud’huin, juin 2022


[1] Vera Molnar, 1984: “Léonard de Vinci s’il eut eu un ordinateur…”

Pour découvrir le travail de Jean-Claude de Bemels : http://www.sceno.eu/jcdb/peinture/peinture.htm

Jean-Claude De Bemels, l’intime en partage

Dominique Thirion – Zoé, Nancy & Me

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Dominique Thirion est une artiste pluridisciplinaire. Souvent, elle joue à ressusciter les artistes et leurs œuvres perdues dans les plis du temps. Nancy, créée par Ernie Bushmiller en 1938, est la première héroïne d’une Dominique haute-comme-trois-pommes. Elle a fait sa connaissance dans la BD rebaptisée en français Arthur et Zoé.

Au Clignoteur, Dominique Thirion revisite les aventures de Nancy dans une série d’acryliques qui rendent hommage à la force et à l’humanité de cette petite fille un peu atypique – et tellement en avance sur son temps  – mais aussi à la maestria narrative et graphique de Bushmiller.

Avec un bonheur enfantin, Dominique Thirion peint jusqu’à ce que jaillisse l’émotion, la surprise, la magie. Le processus peut être immédiat ou durer des années. Cette fantaisie, associée à une approche très instinctive de ce qui fait forme et sens, permet à Dominique Thirion de proposer, avec Zoe, Nancy & Me , une appropriation symbolique autant que picturale :

Dominique est Zoé qui est  Nancy.

Drôle et malicieuse, irrévérencieuse, souvent punie et mise au coin, Nancy-Zoé peut être toutes les petites filles du monde qui, un jour, ne se sont pas reconnues dans ce que la famille et la société lui demandaient d’être. En ça, elle est libératrice, féministe, rassurante dans son ‘anormalité’ et son ‘imparfaite’ humanité. Collectionneuse de coïncidences et de mensonges, d’objets et de désirs, Dominique expose encore dans l’armoire du fond les collections de Nancy, de toutes les Nancy, de toutes les ex-petites filles pas assez sages.

Laurence Baud’huin, Avril 2022

Dominique Thirion – Zoé, Nancy & Me

Altère mon ego – Laetitia Bica

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Pour son exposition Altère mon ego présentée chez That’s what x said du 28 avril au 28 mai 2022, la plasticienne-photographe Laetitia Bica envisage le  corps comme base fondamentale de nos enjeux sociétaux intérieurs et extérieurs. Laetitia joue ici avec la notion de basculement, de transition, au-delà du corps, dans toute son ambivalence.

Partant du postulat que toute image socialement construite est forcément limitée, donc limitante, Laetitia Bica cherche des moyens de briser ces cadres afin d’étendre le champ des possibles, de révéler l’humanité dans ce qu’elle a de plus grand, de plus libre. L’artiste capture un moment-clé d’une histoire, mouvante et en devenir, comme une synthèse visuelle des imaginaires possibles et indispensables, permettant de se projeter et de reconcevoir nos luttes.

Pour y arriver, la plasticienne va jouer de ce qu’elle fait de mieux : rencontrer et créer du lien. Cette confrontation douce est pour elle incontournable : avant de découvrir l’altérité en soi, c’est dans le frottement à l’autre que tout commence. Ces autres, ces performeur.euse.s et comédien.ne.s utilisent leurs corps comme outils. Dans leurs pratiques artistiques, ielles sont constamment en mouvement ; leurs rencontres avec l’artiste se déclinent en conversations et échanges questionnant la relation modèles-photographe. L’image fixée est un résumé témoignant d’une histoire passée, présente et future, de la transition psychologique et corporelle vécue par les sujets.

Pour opérer cette transition, la plasticienne va altérer les corps et les visages en dévoilant leurs multiples facettes. Laetitia Bica met en scène, tord les vérités et utilise différents artifices de manière assumée pour créer des transformations, des métamorphoses, une altération des modèles dans le but de souligner le basculement d’un état à un autre : altérer l’image qu’on a de soi, face à l’image de soi. Ce basculement qu’il soit corporel ou mental, se traduit par l’image. L’artiste intervient en couvrant les corps qu’elle représente, soulignant l’existence d’une part intime et silencieuse des sujets qui transparait dans leurs gestes. C’est en voulant cacher une fragilité inhérente au modèle, que celle-ci est mise en exergue.

Cette fragilité, Laetitia Bica l’expérimente en altérant également les supports et ce qu’ils créent comme émotions chez les regardeur.euse.s. Les tissus, fluides et élastiques comme de la peau donnent l’envie d’être touchés – confrontant l’image fixée à l’impermanence. L’ acier tordu à quatre mains avec l’artisane Maud Matot, se mue en danse tant la coopération nécessaire demande de créativité, de force et de délicatesse. L’artiste en tant que plasticienne approfondit les thématiques au-delà de l’image.

Par-delà cette intimité, l’installation de Laetitia Bica révèle la féminité dans ce qu’elle a de plus fort. Le rapport à la féminité est décortiqué de façon cruelle et douce, dans son ambivalence entre fragilité et force. La sélection de photographies impose des lectures ambivalentes, les œuvres de Laetitia Bica, par leur sujet et leur matérialité offrent une lecture à plusieurs niveaux sur ce qu’est la féminité, ce qu’elle nous offre et ce qu’elle nous impose. L’artiste invite le sujet photographié à accepter avec vulnérabilité son image modifiée comme une nouvelle possibilité d’ego.
 
Pour explorer son sujet de recherche, Laetitia Bica ouvre également la porte du non-humain. La quête du soi contient le vivant dans sa globalité, cet autre à la fois passé et présent, qui vit en nous et survit malgré nous. Par la confrontation des images, des échos de couleurs et de formes, par les rapports d’échelle, Laetitia Bica nous invite à réfléchir à cette part de nature qui fait de nous des paysages en perpétuels mouvements.

Altère mon ego, c’est aussi, in fine, une exploration du développement de l’artiste elle-même. Ainsi, cette exposition lui permet d’agencer des projets différents, de créer du lien entre des recherches menées de front parfois depuis plusieurs années, initiant alors des significations nouvelles et de nouveaux points de vue dans une grande cohérence entre le tout et l’ensemble de ses parties.

Laurence Baud’huin
(avec Rébecca Prosper)
Altère mon ego – Laetitia Bica

Olivier Spinewine : Le pédiluve / Villevue

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Olivier Spinewine est plasticien et enseignant. Il dessine,  photographie, écrit et édite. Au Clignoteur, il présente deux recherches parallèles : Le pédiluve, série dessinée qui explore et interprète le pied comme contrainte formelle, variant les techniques et les supports dans une tentative d’épuisement du sujet où affleurent tour à tour humour et angoisse ; puis Villevue, quête du voir et du faire-voir, travail photographique du quotidien édité à la fois sur Instagram et dans une série de revues mises en page sur Excel, un logiciel si peu adapté à cet usage que les accidents qui s’y produisent offrent au regard une fraîcheur et une poésie nouvelles. Le pédiluve, c’est aussi un ouvrage[1], dont la sortie le 1er avril coïncidera, au Clignoteur, avec le concert de Brèche de Roland, dont Olivier Spinewine signe les illustrations du premier EP[2].

Si les similitudes entre les deux recherches ne frappent pas de prime abord, celles-ci sont néanmoins perceptibles dans la démarche que poursuit Olivier Spinewine. Par opposition, déjà : alors que Le pédiluve exige du plasticien une très grande rigueur, Villevue lui octroie ces moments de repos, d’attention flottante, cette narration qui se donne sans qu’on la cherche. Et ce cadeau trouvé est peut-être – dira Olivier –  la talonnette qui lui permet d’arpenter les chemins de l’expérimentation. Le pied comme l’exprime Georges Bataille dans « Le gros orteil », c’est la polarité entre l’immonde et l’extrême séduction[3]. En cherchant à en décliner la forme au travers de plus de quatre-vingt dessins à ce jour, jouant avec les éléments du pied sans métaphore, Olivier Spinewine s’extrait absolument du stéréotype et propose au regardeur un recul, un œil neuf qui provoque l’émotion. Il en va de même avec les photographies de Villevue qui, décadrées par la mise en page, sont autant d’anti-couchers-de-soleil, de pieds de nez aux clichés de genre.

Récemment, Olivier Spinewine propose d’ailleurs une fusion par collage de ses  travaux photographiés et dessinés. Au travers de ses différentes démarches, on retrouve ce souci quasi pédagogique de l’enseignant en sémiologie : une quête du sens rendu à l’image, un refus de la lassitude, voire de l’indifférence.  Nous reste de cet univers si particulier une gratitude pour tant d’harmonie esthétique, pour cette légèreté que côtoie la curiosité, pour l’éveil né.

Laurence Baud’huin, janvier 2022


[1] Le pédiluve, 2022, Lustre éditions

[2] Brèche de Roland, fin: début, cover Olivier Spinewine, dear.deer.records, 2022

[3] Georges Bataille, “Le gros orteil,” Documents 6 (November 1929): 297-302.

Olivier Spinewine expose @Le Clignoteur du 18/3 au 01/04/2022
Vernissage le 18/3 dès 18.00
Exposition accessible les vendredis de 17.00 à 20.00
et les samedis et dimanches de 14.00 à 19.00

Concert de La Brèche de Roland le 01/04/2022 à 20.00 à l’occasion de la sortie du livre Pédiluve, Lustre éditions.

Olivier Spinewine : Le pédiluve / Villevue

jeu de balle – Florence Cats & Joseph Charroy

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En résidence au Clignoteur dès le 25 octobre, Florence Cats et Joseph Charroy proposent avec « jeu de balle » une exploration urbaine et temporelle. Douze jours durant, ils auront arpenté la place éponyme  à l’heure du ballet des balayeurs, le nez au sol, glanant les presque riens, les objets oubliés, rejetés, laissés pour morts sur le pavé. Trouvés, ramassés, composés par Florence Cats, anoblis au titre de supports pour le travail photographique de Joseph Charroy, ces humbles parmi les humbles, machins faits en série, utilisés un jour, abimés et jetés un autre, deviennent soudain uniques, porteurs d’aura, de l’histoire singulière qui les mène ici et maintenant.

Florence Cats intervient sur les supports-trouvailles par l’assemblage, le dessin, l’écriture, la peinture, le transfert, la citation ou la création sonore. Petite, elle jouait dans les terrains vagues, non-lieux où, par essence, rien ne bride l’imagination : reste une tendresse et une attention pour la terrible vulnérabilité des objets sans objet et des lieux en mutation.

Joseph Charroy est photographe et éditeur : pour le projet « jeu de balle », il crée avec son imprimante des livres-objets, pièces uniques montées à partir de ses photographies imprimées sur les papiers glanés, sur les ouvrages oubliés, rejetés par la houle du vieux marché. L’œil ouvert sur les altérations dues à l’humidité, les déchirures, les empreintes, les accidents et les effacements, Joseph travaille avec le temps et les traces que celui-ci laisse dans son sillage.

Pour l’une comme pour l’autre, la place du Jeu de balle à Bruxelles, dernière demeure des choses abandonnées de la ville, morceau de patrimoine affaibli par la crise sanitaire et menacé par la gentrification, est un choix qui n’a rien d’anodin. Il apporte avec lui la poésie du temps qui passe, la mélancolie de l’errance et de l’échouage, le combat pour la visibilité des plus faibles. Il dit aussi le jeu des échos que s’envoient et se renvoient les deux artistes-amoureux, leur douceur, leur force et, dans un trait d’humour, leur rafraichissant pied-de-nez à l’hygiénisme ambiant.

VERNISSAGE VENDREDI 12/11/2021 – 18h

Le Clignoteur – 30 Place de la Vieille halle aux Blés – 1000 Bruxelles

Laurence Baud’huin, octobre 2021

jeu de balle – Florence Cats & Joseph Charroy

ME MO RI – Delphine Navez

Journal photographique

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Depuis 2012, Delphine Navez enrichit au quotidien une chronique photographique intime qui se construit par l’accumulation d’images-souvenirs. Leur format, le carré, n’exclut rien ni personne de son centre, de son cœur. Il est la figure stable. Il est le proche et le sans mot. Il est l’équilibre à la fois formel et essentiel.

Ces photographies constituent un support mnémonique, un ancrage face à la fuite du temps, des petits cailloux blancs semés sur un sentier. Un jeu aussi : une taquinerie jetée à la figure de son inéluctabilité. Me(mento) Mori : Saturne dévore ses enfants ? Delphine Navez le chatouille sous les bras avec le fil d’Ariane !

Le jeu, c’est aussi l’assemblage, la collection et ce qu’on peut en faire. Ainsi, les images de ME MO RI sont faites pour être manipulées, associées. Memori, ce plaisir d’enfant qui consistait à retrouver des paires, se mue ici en recherche de similitudes et d’échos, cachés dans une ombre, un contraste, une couleur. L’appariement des photographies crée un avant et un après, un fil temporel, une narration chaque fois renouvelée. Assemblés, les carrés se font paysages et l’espace se dédouble. À moins que ce ne soit le temps.

Mais en nous offrant ses souvenirs, Delphine Navez les désincarne. Ils s’extraient de leurs sujets – famille, amis, lieux parcourus – pour en revêtir d’autres, s’habiller des représentations de ceux qui se les approprient. Sans s’en déposséder, la photographe partage alors l’universalité des émotions qui jaillissent, parfois avec violence, de ses images. Images où l’on peut lire le rire : celui qui éclate avec le son – le sens – le geste ; grinçant parfois. Images où l’on peut lire la perte : la solitude des sujets isolés, la multitude de regards et de bouches entrouvertes et les corps amputés, tendus, brûlés par les blancs. Images, encore, où la couleur soudain détaille, brandit le réel et nous le met sous le nez, nous réveille en sursaut, sans concession.


Car si ME MO RI est un jeu, ce n’est autre que celui de l’existence. La partie est lancée : on  fonce tête baissée du drôle au tragique et du tragique au drôle… et inlassablement, on recommence.

Laurence Baud’huin – Août 2021


ME MO RI

Du 25 septembre au 16 octobre 2021

Jeudi et vendredi de 18 à 20h, samedi de 14 à 18h

VERNISSAGE VENDREDI 24 SEPTEMBRE À PARTIR DE 18h

LE MAGA – avenue Jean Volders 56, 1060 Saint-Gilles www.lemaga.be

ME MO RI – Delphine Navez